Emma Casanove romans, nouvelles
Emma Casanove                                            romans, nouvelles

Extrait, tout début du roman

"Le quai de la gare est vide. Ou presque. Quelques très rares voyageurs y patientent. Certains font quelques pas d’un côté ou de l’autre, d’autres attendent sans bouger. On aperçoit d’abord une femme. Une dame âgée, la peau du visage et des bras fripée, les cheveux gris tirés en un chignon strict, qui affiche un air fermé, ou peut-être plutôt fatigué. Elle se tient droite, debout sur le bitume gris usé par tant de chaussures, celles des millions de voyageurs qui, sans doute, l’ont piétiné avant elle, impatients, pressés. Elle semble regarder la voie. Le fer encombré de déchets divers. Là, une canette, ici, un sac plastique, et des mégots de cigarettes à ne pouvoir en deviner le nombre. Ensuite un jeune homme qui, lui, parade, le buste bombé, le regard en coin pour s’assurer qu’on le remarque, en tenue de sport dernier cri, marque bien en évidence, les écouteurs dans les oreilles, sa tête accompagnant le rythme de la musique que l’on perçoit faiblement. C’est un peu comme s’il répétait une vague chorégraphie, une scène. Car là, il faut bien le dire, le public n’est pas au rendez-vous et les quelques voyageurs ne lui jettent qu’un regard rapide et lassé. Il y a aussi un militaire sensiblement du même âge, l’air songeur, qui porte un gros sac kaki. Quelques pas sur le quai l’occupent de temps à autre. Début ou fin de permission ? Rien ne permet de se prononcer. Ni son apparence ni son visage sur lequel on ne décèle pas la moindre émotion.

Et puis, là, un homme allongé sur le sol sale, couvert de détritus. Ses affaires sont entassées à côté de lui. Deux grands sacs en plastique blanc et vert que l’on reconnaît être ceux d’un hypermarché malgré l’âge avancé qu’ils affichent, prêts à céder, un panier troué avec ce qui pourrait être de la nourriture dedans, allez savoir, et quelque chose qui ressemble à une couverture, vert bouteille, très foncée en tout cas. On dirait qu’il dort. Il est recroquevillé sur lui-même, immobile, son bras gauche cache son visage, si bien que l’on ne peut pas voir si ses yeux sont ouverts ou fermés. Il pourrait tout aussi bien être mort. On distingue ses longs cheveux blancs, ou plutôt jaunâtres, et une courte barbe mal taillée de la même couleur. Son jean et son pull sont troués. Usés par son infortune.

Scène de misère ordinaire."

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© Audrey Harel-Casanove

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