De la rumeur.
Décembre 2013, 13:00
 

Je me suis penchée sur la notion de rumeur en amont de l'écriture de mon premier roman, Cactus Orchidée, où elle occupe une place de choix.

 

De quoi s'agit-il ?

De la transmission "d'une histoire à prétention de vérité et de révélation" (Wikipédia).

D'une maladie du corps social. De récits sans fondement qui socialisent un groupe. D'une attaque envers les puissants, envers l'autorité. C'est "la réunion des opinions ou des soupçons du public contre quelqu'un" (Dictionnaire de l'Académie française).

 

A quoi sert la rumeur ?

Elle a une utilité sociale. Elle permet de contribuer à la constitution de groupes: eux (objets de la rumeur) vs nous (colporteurs).

Elle a une valeur de fable, de morale. Elle se répand par le biais des individus qui sont concernés, qui sont touchés par le contenu de la rumeur.

 

Pourquoi la rumeur?

Elle relève de la crainte, l'angoisse, le fantasme. Elle naît donc du besoin de la société d'exorciser certains comportements. En racontant quelque chose de faux ou de partialement faux, elle vise à dénoncer un réel problème. Comme dit précédemment, elle a une visée moralisatrice. Elle ne repose pas nécessairement sur des données vraies, mais elle fait appel à une croyance préalable relative aux faits reprochés. Elle fait appel à l'imaginaire, au fantasme.

Comme un conte.

 

Une rumeur peut être fondée et s'avérer vraie, bien qu'elle relève le plus souvent de la calomnie. Donc, une rumeur avec intention de nuire.

"Il n'est pas de vertu que la calomnie ne sache atteindre", William Shakespeare.

 

Elle court, la rumeur.

Celle qui circule sur les rapports équivoques que ce jeune homme entretient avec cette femme.

Rumeur ou calomnie ? Y a-t-il intention de nuire ? A qui ? A elle? A lui ? Pourquoi ?

A la lumière de ce qui a été dit auparavant, cette rumeur relève à la fois du fantasme et de la morale, et elle contribue aussi à souder le groupe hostile au "couple".

Il s'agit d'une rumeur fausse mais le fait est que ce type d'aventure existe. Nous sommes donc bien dans le cas de figure d'une croyance préalable nécessaire à la propagation.

Elle est fausse, mais elle pourrait être vraie. Le conditionnel sera vite oublié.

Elle repose aussi sur des éléments vrais, avérés, et non dissimulés: une vraie complicité entre les deux accusés. Une entente, une sympathie, que nul n'ignore. Une relation purement intellectuelle, mais là encore le qualificatif sera vite oublié.

Quel est leur crime, alors ?

Nous avons parlé de fantasme. Le fantasme ainsi éveillé peut-il provoquer un désir et donc une jalousie ? S'agit-il de morale au regard de leur différence d'âge ? Désirer quelque chose de contraire à la norme peut-il entraîner le rejet par dépit ? Condamne-t-on ce qu'on ne peut avoir ?

La rumeur naît aussi de la peur.

S'agit-il de la peur de l'émancipation de la femme soupçonnée d'adopter un comportement longtemps réservé à l'homme: liberté sexuelle, partenaire plus jeune. Est-ce une volonté d'exorciser la libération de la femme ?

La femme représentant l'autorité dans ce contexte, est-ce elle qui est visée par la calomnie ? Ou est-ce celui qui est considéré comme traître pour avoir pactisé avec cette autorité ?

La dernière question qui me préoccupe est la suivante: ceux qui colportent la rumeur y croient-ils ? C'est vraisemblable.

Mais alors, cela signifie-t-il qu'ils sont manipulés par des calomniateurs habiles ? N'ont-ils pas de libre arbitre ? Ou sont-ils tout simplement aveuglés par la force de leur imaginaire, de leurs fantasmes, et de la morale ?

Comme au temps de l'Inquisition.

 

@ahc