"Zoé est d’excellente humeur ce matin. Elle s’est levée le sourire aux lèvres. La veille, Stéphane l’a appelée.
Quel plaisir intense pour elle que d’entendre son grand frère ! Ils ont toujours été complices mais les kilomètres qui les séparent ne leur permettent pas de se voir aussi souvent qu’ils le souhaiteraient. Stéphane est retourné au Mexique il y a plus de dix ans. Provisoirement. Pour retrouver leurs racines, sur les pas de leurs ancêtres.
Un provisoire qui dure. Zoé, elle, s’y rend quand ses finances le lui permettent, pour un bain familial grisant, une immense fête à chaque fois. Et puis, il y a les récits de Stéphane. Elle boit ses paroles, elle vit ses aventures par procuration. Il lui semble l’accompagner dans ses périples sud-américains. Sur les traces des leurs.
Stéphane est un aventurier, un personnage atypique, marginal, qui étouffait en Europe. Leurs origines mexicaines lui avaient fourni le prétexte pour partir. Les récits qu’il fait à Zoé de sa vie riche et mouvementée regorgent de détails colorés, attendrissants, émouvants ou tristes aussi. Il faut dire que Stéphane est un conteur né. Incomparable. Zoé l’encourage d’ailleurs à coucher ses mots par écrit. Il est passionné de photographie aussi et Zoé est convaincue qu’il pourrait faire des livres magnifiques. Mais tout cela n’intéresse pas Stéphane. Seuls les siens ont le privilège de pouvoir profiter de ses talents.
Et hier soir, pendant plus d’une heure, Zoé a vécu en exclusivité la dernière aventure de son frère : aller à la rencontre d’une cousine éloignée, du côté de cousins de leur mère, vivant dans un village très reculé et pauvre. Un récit poignant.
Zoé est heureuse mais à fleur de peau. Des larmes ont coulé sur ses joues en réponse aux mots de son frère. Joie et émotion mêlées.
Parce que la passion de Stéphane était palpable. Parce que tels des jumeaux, les sentiments de l’un sont ceux de l’autre. Parce qu’entendre la voix chaude de ce frère tant aimé lui rappelle qu’il est en vie. Qu’il a su faire face à ses démons du passé. Que l’enfer est derrière lui, qu’il a accepté de vivre.
Il lui manque énormément mais Zoé refuse de l’admettre. Car c’est la condition de la survie de Stéphane.
Partir lui a été salvateur ; c’était la seule issue.
Après deux tentatives de suicide. Parce que vivre lui était intolérable.
Un mal-être profond qu’il semblait avoir effacé en s’envolant vers d’autres horizons. Tel l’albatros de Baudelaire, superbe les ailes déployées navigant dans les airs et si malheureux les pieds au sol au milieu des marins.
Stéphane avait trouvé ses cieux dans les villages isolés du Mexique, menant une vie marginale que personne ne jugeait là-bas.
Zoé ne peut donc que se réjouir de le savoir si loin : au moins, il est en vie.
Un moment, elle avait caressé le rêve de partir elle aussi. De trouver ses cieux. Là-bas ou ailleurs.
Mais Zoé n’a jamais eu le courage nécessaire, la force de franchir le pas. Longtemps, elle a nié l’évidence. Elle a tout fait pour entrer dans le moule. Etre comme tout le monde."
Un autre extrait ? Là.